dimanche 4 octobre 2009

Publication : Les sophistes sous la direction de J.-F.Pradeau

Les éditions GF Flammarion continuent leurs publications en philosophie antique ; sont désormais disponibles des fragments des sophistes, présentations et traduction sous la direction de J.-F.Pradeau.


Tome I : De Protagoras à Critias
Protagoras d'Abdère par M. Bonazzi
Gorgias de Léontinoi par M.-L. Desclos
Antiphon de Rhamnonte par M.-L. Desclos
Xéniade de Corinthe par J.-F. Pradeau
Lycophron par J.-F.Pradeau et M. Bonazzi
Prodicos de Céos par L.A. Dorion
L'Anonyme de Jamblique par L. Brisson
Critias d'Athènes par L. Brisson


Tome II : De Thrasymaque aux Discours doubles
Thrasymaque de Chalcédoine par A. Macé
Hippias d'Elis par J.-F. Pradeau
Euthydème et Dionysodore par L.A. Dorion
Alcidamas d'Elée par M. Patillon
Discours doubles (Dissoi Logoi) par L.A. Dorion

mardi 29 septembre 2009

Publication : "Plotin et son platonisme", Etudes philosophiques, juillet 2009-3

Vient de paraître un numéro des Etudes philosophiques, juillet 2009-3, consacré à "Plotin et son platonisme" :
R. Chiaradonna : Présentation
G. Aubry : "L'empreinte du Bien dans le multiple" : structure et constitution de l'intellect plotinien
C. Tornau : Qu'est-ce qu'un individu ? Unité, individualité et conscience de soi dans la métaphysique plotinienne de l'âme
C. d'Ancona : Modèles de causalité chez Plotin
P.-M. Morel : Comment parler de la nature ? Sur le Traité 30 de Plotin
E. Eliasson : Sur la conception plotinienne du destin dans le Traité 3

Publication : In Parmenidem de Proclus

Vient de paraître aux Oxford University Press le troisième et dernier tome du Commentaire du Parménide de Proclus (livre VI et VII), sous la direction de Carlos Steel.

Cette édition, qui est un événement majeur dans les études néoplatoniciennes, vient remplacer le texte défectueux proposé par V. Cousin. La fin du livre VII étant manquante dans les manuscrits grecs, et seulement disponible dans la traduction latine de Guillaume de Moerbeke, cette édition propose le texte latin avec une rétroversion en grec.

Plus d'information ici :
http://ukcatalogue.oup.com/product/9780199291823.do

Les Belles Lettres proposent aussi une édition et traduction du même texte, par C. Luna et A. Segonds, mais seul le premier livre est paru à ce jour.

dimanche 26 juillet 2009

Livres

Le chapitre III du livre de D. Rabouin, Mathesis Universalis. L'idée de 'mathématique universelle' d'Aristote à Descartes, Paris : PUF, 2009 est consacré au "moment néoplatonicien".

samedi 25 juillet 2009

Prière silencieuse dans le De Abstinentia et silence unitif (2)

3. Le silence dans le néoplatonisme

Avec une focalisation de plus en plus accentuée sur la question de la transcendance, la notion de silence va prendre progressivement de l'importance, tant pour désigner une impossibilité à dire un au-delà toujours en retrait ou toujours en excès que pour montrer une expérience particulière ou un état de la divinité, si bien que le Silence va même être hypostasié en une entité chez les Valentiniens.
a) Plotin
Un détour par les différentes fonctions du silence chez Plotin peut être utile pour comprendre le sens et la nature de l'hymne silencieux chez Porphyre.
Le silence le plus fameux demeure dans l'expérience plotinienne celui qui nous saisit face au principe ; la pensée du principe conduit à une situation aporétique dont il faut se retirer par le silence : "Il faut nous éloigner en silence (siôpèsantas) et cesser toute recherche, puisque nos réflexions nous plongent dans l'embarras." (VI, 8 [39], 11, 2-3 , trad. L. Lavaud). Le silence apparaît dans son ambivalence, renoncement nécessaire, mais encore mode d'être originel de l'âme unie au principe ; dans l'expérience unitive, en effet, dans l'abolition de la dualité, la reconnaissance du principe ne tolère pas un discours d'identification, seul le silence est signe de cette reconnaissance; comme le dit Plotin, c'est le silence qui parle ici, et encore parle-t-il après coup : "Ce que l'âme dit:"C'est lui", elle le dit plus tard, et elle le dit en silence (siôpôsa)" (VI, 7 [38], 34, 28-30 (trad. F. Fronterotta)). Cette parole silence n'est qu'une image, ce silence ne dit rien, mais il est signe. Ce n'est que dans un second temps, après l'union, que le discours pourra désigner ce dont il est séparé. C'est l'altérité qui rend possible le discours, ce qui en fait à la fois la force mais aussi la limite ; sans altérité, il ne reste plus que l'unité silencieuse (V, 1 [10], 4, 37-40).
Il faut néanmoins reconnaître que le silence est, chez Plotin, plurivoque, en deçà du silence unitif, se trouve le silence de l'intellectt, c'est-à-dire le repos (V, 3 [49], 7) ou l'absence de discursivité : "Mais, à mon avis, on ne doit certainement pas supposer que les âmes font usage de paroles lorsqu'elles se trouvent dans l'intelligible, et pendant tout le temps qu'elles ont un corps dans le ciel. Toutes les discussions que suscitent ici-bas le besoin et la dispute n'ont pas lieu d'être là-bas. Parce qu'elles font chaque chose d'une manière ordonée et conformément à la nature, les âmes n'ont pas non plus besoin de donner d'ordres ni de conseils ; en outre, c'est par compréhension qu'elles arrivent à connaître ce qui les concerne les unes et les autres. Car ici-bas également nous pouvons, même si des gens restent silencieux, comprendre beaucoup de choses par le regard. Or, là-bas, tout corps est pur et chacu est comme un oeil; rien n'est caché, rien n'est dissimulé, mais en posant son regard sur l'in, on sait ce qu'il veut dire avant qu'il n'ait parlé. En revanche, pour les démons et pour les âmes qui se trouvent dans l'air, il n'est pas absurde dire dire qu'ils font usage de la parole, car ce sont des vivants." (IV, 3 [27], 18, 13-24 (trad. L. Brisson). Comme le souligne A. Charles-Saget, dans L'architecture du divn, Paris : Les Belles Lettres, p.100-103, le silence est le centre de la parole vers lequel elle tente de converger. Le silence, dans l'absence de discursivité, n'implique par pour autant l'absence de dualité entre le pensant et le pensé (V, 3 [49], 10, 44-46). Enfin, il reste le silence de la contemplation, tant de la nature que de l'âme (III, 8 [30], 4-7).
Bibliographie sur le silence chez Plotin :
- P. M. Schuhl, « Au-delà du mythe : le silence dans la philosophie de Plotin » in Étude sur la fabulation platonicienne, Paris : PUF, 1947, p. 117-120
- V. Cilento, « Estasi e silenzio » in Saggi su Plotino, Milano : Mursia, 1973, p. 263-298
- J.-L. Chrétien, « L’hospitalité du silence » in L’arche de la parole, Paris : PUF, 1998, en particulier p. 72-73 et p. 86-87
- F. Tazzolio, Du lien de l’Un et de l’être chez Plotin, Paris : L’Harmattan, 2002, p. 246-253
(A suivre)

mercredi 22 juillet 2009

Prière silencieuse dans le De Abstinentia et silence unitif

« Au dieu suprême, comme l’a dit un sage, nous n’offrirons rien de ce qui est sensible, ni en holocauste ni en parole. En effet il n’y a rien de matériel qui, pour l’être immatériel, ne soit immédiatement impur. C’est pourquoi le langage de la voix ne lui est pas non plus approprié, ni même le langage intérieur lorsqu’il est souillé par la passion de l’âme. Mais notre seul hommage est un silence pur et de pures pensées le concernant. Il faut donc nous unir à Dieu, nous rendre semblables à lui et lui offrir notre propre élévation comme un sacrifice sacré, car elle est à la fois notre hymne et notre salut. Or ce sacrifice s’accomplit dans l’impassibilité de l’âme et la contemplation de Dieu. Pour les rejetons du dieu suprêmes – les dieux intelligibles – il faut ajouter l’hymne de la parole. Car le sacrififice est la consécration à chaque divinité d’une part de ses dons, de ce par quoi elle nourrit notre essence et la maintient dans l’être. » (De l’abstinence II, 34)

1. La hiérarchie théologique


Dans ce curieux passage inspiré du Peri thusiôn d’Apollonius de Tyane, Porphyre semble réserver une forme particulière de prière silencieuse à la divinité la plus haute, alors que les hymnes parlés doivent être offerts aux dieux qui viennent après, présentés comme dieux intelligibles. Ces dieux secondaires sont à la fois rejetons, comme les dieux engendrés du Timée (40a2 sqq.) mais aussi intelligibles comme le paradigme ; cependant, si l’on saisit la logique du passage comme un tout, II 34-36, il semble bien qu’il y ait une hiérarchie complète du divin:

1) le dieu suprême
2) les dieux intelligibles
3) les dieux visibles fixes et errants (36.3)
4) les démons (36.5).

Ces dieux intelligibles sont donc différents des dieux engendrés tels qu’ils apparaissent dans le Timée. Porphyre ne donne guère plus d’éléments pour comprendre le statut de ces dieux intelligibles, d’autant plus qu’ils semblent disparaître dans la hiérarchie théologique de certains platoniciens évoquée en II, 37 :

1) premier dieu
2) âme du monde
3) dieux visibles, fixes et errants
4) démons.

Porphyre semble dans une position d’équilibre instable, qui ne paraît guère le déranger, entre une structure qui distingue dieu suprême/dieux intelligibles dont l’inspiration serait néoplatonisante, puisqu’elle suggère un « Un au-dessus de l’intellect » (M.Zambon, Porphyre et le moyen-platonisme, Paris : Vrin, p. 148) et une structure plus traditionnelle et scolaire. Comme le note M.Zambon, il est « parfaitement possible que le philosophe ait adopté des représentations de la structure du monde divin d’une grande diversité, convaincu qu’elles sont compatibles et se complètent réciproquement. Il semble que Porphyre ne veuille rien perdre de ce qu’offre le passé, même si, pour ne rien perdre, il doit en réalité soumettre ses propres sources à d’importants ajustements interprétatifs » (cf. aussi A. Smith, « Porphyry and the Platonic Theology » in Proclus et la Théologie platonicienne, A. Segonds/C. Steel (éds), Paris/Louvain : Belles Lettres/Leuven University Press, p.183-184).

2. La prière mentale ou silencieuse est rare à l’âge classique

La prière mentale ne semble avoir pris son essor qu’à partir de la période hellénistique ; à l’âge classique, et dans la période archaïque, elle ne semble qu’un pis-aller : « La prière mentale se recontre dans le cas d’impossibilités physiques – ou parfois sociales – que l’on contourne et dont on espère que le dieu voudra bien aussi s’accommoder » (D. Aubriot-Sévin, Prière et conceptions religieuses en Grèce ancienne jusqu’à la fin du Vème siècle, Lyon : Maison de l’Orient méditerranéen, p.154). Néanmoins, on en trouve une trace positive, comme le note D. Aubriot-Sévin, dans l’Epinomis, dans un passage qui rappelle l’offrande des hymnes aux dieux (980a-c) :

« L’Athénien – Après cela, on ne reprochera pas au législateur de se faire et d’exprimer des dieux une image plus belle et plus digne que celles qui ont été présentées jusqu’ici, comme par un beau jeu en leur honneur, et de passer sa vie à leur offrir des hymnes et le spectacle de son allégresse.
Clinias – Que c’est bien parler, étranger ! Puisses-tu proposer pour but à nos lois de nous faire parvenir, en donnant aux dieux ce jeu de louanges et en menant une vie plus pure, à la fin tout ensemble la meilleur et la plus belle !
L’Athénien – Qu’est-ce à dire, Clinias ? Sommes-nous d’avis d’honorer granderment les dieux par nos hymnes, les priant de nous inspirer à leur endroit les discours les plus beaux et les meilleurs ? Cela te plaît-il ou que suggères-tu ?
Clinias – Mais oui, cela me plaît merveilleusement. Eh bien ! homme admirable, prie avec foi les dieux et expose le propos beau entre tous qui te vient à l’esprit au sujet des dieux et des déesses.
L’Athénien – Ainsi en sera-t-il, si le dieu lui-même se fait notre guide. Unis-toi seulement à ma prière. [Prière silencieuse]
Clinias – Tu peux parler maintentant. »


On remarquera toutefois que le silence n’a pas le dernier mot, puisqu’un discours sur les dieux, qui résume la partie théologique des Lois, prend le relais.

Même les pythagoriciens, dont on connaît le culte du silence et du secret (sur la question, voir A. Petit, « Le silence pythagoricien » in C. Lévy/L. Pernot (éds), Dire l’évidence, Paris : L’Harmattan, 1997, p. 287-296), semblent avoir de "prier à haute voix" (meta phônès eukhesthai) comme le rappelle Clément d'Alexandrie (Stromates IV, 26, 171, 1, texte cité par D. Aubriot-Sévin, p. 147) qui glose "non parce qu'ils imaginaient la divinité incapable d'entendre ce qui était prononcé à voix basse, mais parce qu'ils voulaient que fussent justes les prières qu'on n'aurait pas scrupule à faire au vu et au su de beaucoup de gens". Une telle affirmation doit permettre de relativiser le passage souvent cité de la Mathesis de Firmicus Maternus qui associe Pythagore et Porphyre dans la nécessité d'un silence religieux : "Pythagoras etiam et noster Porphyrius religioso putant animum nostrum silentio consecrari".

Le silence fait finalement peu question dans la Grèce archaïque et classique, ce qu'il faudrait attribuer à la "découverte récente du logos" et à son efficacité, si l'on en croit R. Mortley dans From Word to Silence I. The Rise and Fall of Logos, Bonn : Hanstein, p. 124 (le livre est intégralement téléchargeable ici : http://epublications.bond.edu.au/word_to_silence/).

dimanche 19 juillet 2009

La doctrine démonologique dans le De Abstinentia II, 38-43 de Porphyre est-elle celle d'Origène ?

Origène le platonicien, condisciple de Plotin auprès d’Ammonius, n’aurait écrit que deux livres, se consacrant essentiellement à l’enseignement. Le premier serait : Oti monos o poiètès o Basileus, le second, Peri tôn daimonôn. Ce titre est rapporté par Porphyre dans la Vie de Plotin en 3.31 ; Longin, dans la préface du Peri telous, ne cite que cet ouvrage (Vie de Plotin 20.41). H. Lewy, dans l’Excursus XI, dans Chaldean Oracles and Theurgy, Le Caire : Publications de l’Institut français d’Archéologie Orientale, 1956, p. 497-508, fait l’hypothèse selon laquelle Porphyre rapporterait la doctrine origénienne dans le De Abstinentia II, 36-43, position attribuée à « certains platoniciens ». H. Lewy s’appuie sur un double argument :

1) Il souligne qu’un bref résumé de l’ensemble de la théologie, dans le De Abstinentia II 37, précède l’exposé démonologique proprement dit. Or cet exposé semble reproduire un schéma médioplatonicien traditionnel – le premier dieu, l’âme du monde, le monde, les dieux intra-mondains (étoiles et planètes), les démons – où finalement ne se trouvent que « deux principes noétiques », le premier dieu et l’âme du monde ; il y aurait alors une action directe du premier dieu sur l’univers, ce qui pourrait correspondre à la position origénienne identifiant le démiurge et le premier dieu telle qu’elle se dessine à partir du titre du second ouvrage, Oti monos poiètès o Basileus.

2) On retrouve dans le De Abstinentia II, 38, trois des classes de démons ((a) ceux qui s’occupent des animaux, (b) ceux qui s’occupent des récoltes, (c) les messagers) présentes dans l’interprétation allégorique que Porphyre propose des cinq classes de la constitution de l’ancienne Athènes (respectivement, (a) pasteurs, (b) laboureurs, (c) prêtres) évoquées dans le mythe de l’Atlantide (cf. Proclus, In Timaeum I, 152 .10-28) ; il faut ajouter par ailleurs qu’aux démons présidant aux techniques, dans le De Abstinentia, correspondraient les âmes attachées à Héphaïstos et à Athéna. Or, l’ensemble de l’interprétation porphyrienne du mythe de l’Atlantide est un mélange des positions de Numénius et d’Origène (Proclus, In Timaeum I 77.6-7) : pour Porphyre, il s’agit d’une description du combat des âmes, avant l’incarnation, contre les mauvais démons qui veulent les attirer vers le bas (ibid. I 77.6-24) ; pour Numénius, il s’agit d’un conflit entre les âmes nobles et celles attachées à la génération (ibid. I 77.3-6) ; pour Origène, il s’agit d’une guerre entre bons et mauvais démons (ibid. I 76.30-77.3) Porphyre s’inspirerait essentiellement de Numénius pour la dimension psychologique de l’interprétation ; la dimension démonologique devrait être rapportée à Origène. Par conséquent, on peut supposer que la classification des démons sublunaires de l’In Timaeum I, 152.10-28 et, par suite, le passage du De Abstinentia, dont elle semble être le modèle, peuvent être rapportés à Origène.

H.-R. Schwyzer, dans « Proklos über den platoniker Origenes », in Proclus et son influence : Actes du colloque de Neuchatel, G. Boss/G. Seel (éds), 1987, Zürich : éditions du Grand Midi, p. 45-59, sans être convaincu par le procédé de H. Lewy propose d’approfondir son hypothèse sur deux points (p. 58-59) :

1) La distinction entre bons et mauvais démons réapparaît dans le De Abstinentia alors que Numénius ne la cite pas, ce qui confirmerait son origine origénienne. H.-R. Schwyzer reconnaît en note les limites d’un tel argument ex silentio étant donné la pauvreté des fragments restants de Numénius. Sur la démonologie origénienne, cf. M. Baltes/H. Dörrie, Der Platonismus in der Antike. Band 3, Stuttgart/Bad Cannstatt : Frommann-Holzboog, 1993, p. 337.

2) Le deuxième point est plutôt un point critique qui porte sur l’identification du premier dieu dans le De Abstinentia II, 37, 1 avec le démiurge origénien. En effet, il est décrit ainsi : « O men prôtos theos asômatos te ôn kai akinètos kai ameristos kai oute en tini ôn out’endedemenos eis eauton, khrèzei oudenos tôn exôthen, ôsper eirètai ». D’après H.-R. Schwyzer, ces prédicats viennent essentiellement du Parménide, plus précisément de la première hypothèse ; il en déduit que l’auteur est un néoplatonicien posant le premier principe au-delà de l’être ; « hier wird eindeutig ein Philosoph zitiert, der die erste Hypothesis des Parmenides als oberstes Prinzip jenseits des Seins auffabt. » (p. 58) ; on pourrait appuyer cette analyse par la référence à la Théologie Platonicienne de Proclus II, 4, p. 36.22-25 : « Kai ei pas nous eis auton estraptai kai en eautô esti, to de hen oute en auto deiknuta on oute en allô, pôs eti ton noun eis tauton axomen tô prôtô » Même s’il s’agit d’Origène, ce premier dieu ne peut être identifié au démiurge ; l’auteur de l’extrait supporterait même une doctrine des trois hypostases. Pour conserver l’identification avec Origène, il faudrait alors supposer que le Peri tôn diamonôn est un écrit de jeunesse où l’influence d’Ammonios était encore prédominante. Ce n’est que bien plus tard, après une rupture avec Ammonius, qu’Origène aurait renoncé à cette doctrine pour identifier le premier dieu au démiurge.
Il faut reconnaître que sur ce deuxième point, H.-R. Schwyzer surdétermine le texte :

a) En effet, la référence exclusive au Parménide est loin d’être évidente dans l’extrait du De Abstinentia et même si les prédicats sont en partie tirés du Parménide, cela n’implique pas une lecture strictement néoplatonicienne.
b) Comment justifier, par ailleurs, l’absence du démiurge ou de l’intellect dans la série des dieux ? L’auteur dresse un panorama synthétique de la théologie, il est pour le moins paradoxal que manque un échelon. Comme le note de M. Zambon, dans Porphyre et le moyen-platonisme, Paris : Vrin, 2002, p. 148, « le premier Dieu est décrit avec des attributs qui rappellent les négations de la première hypothèse du Parménide platonicien ; mais après lui, vient l’âme du monde, ce qui implique clairement que ce premier Dieu, suivant le schéma du Timée, doive s’identifier avec le démiurge. »
c) L’attribution d’une doctrine des trois hypostases à Ammonius ne peut s’appuyer sur des textes, mais seulement sur une reconstruction hypothétique.

H.-R. Schwyzer n’explique cependant pas pourquoi l’analyse de H. Lewy ne le convainc pas ; on peut, en effet, remettre en cause l’argument essentiel d’H. Lewy qui retrouve dans le De Abstinentia les classes de démons de l’interprétation du mythe de l’Atlantide.

1) H. Lewy identifie les démons en charge des phénomènes météorologiques à ceux en charge des animaux et des champs ; or, dans le De Abstinentia II 38, il s’agit d’une classe de démons qui a sa spécificité, sinon Porphyre ne coordonnerait pas cette fonction aux fonctions précédentes – s’occuper des animaux, s’occuper des récoltes – par un eite kai en continuité avec les deux eite qui coordonnaient les classes précédentes... Or, cette classe n’a pas d’équivalent dans le texte proclien.

2) L’identification des « démons qui président à nos techniques » avec les âmes attachées à Héphaïstos et à Athéna force le texte ; car Proclus ne mentionne pas ces démons. Pour établir un lien certain entre le commentaire sur le Timée et le résumé du De Abstinentia, il faudrait retrouver une classification comparable. Origène en est peut-être l’auteur, mais rien ne permet de le certifier avec exactitude. Sur les différentes hypothèses possibles, cf. Porphyre, De Abstinentia II-III, Paris : Les Belles Lettres, 1979, p. 34-37.